top of page
  • Photo du rédacteurBruno

Du sirop d'existence




Ce n'est pas de l'attente.

Juste l'existence qui s'écoule, du sirop d'existence.


Il avait peint le sablier, dans les jours sombres qui suivirent son absence.

A mains nues sur sa porte en bois, usée, peinture sang, s'écorchant les doigts, douleur en échardes.

Besoin d'un contact matière. Pétrir, malaxer, étaler, revêtir, caresser, blesser, embrasser, oindre et laisser sécher, à fleur de peau, comme il l'aurait fait avec son corps, d'une passion rageuse.


Il avait peint le sablier de mémoire, celui qu'elle s'était fait tatouer au creux d'un été et de ses reins. Incarnation. Signe de reconnaissance, de connaissance, de naissance, de sens.


Il avait peint le sablier pour conjurer le grain de sable de leur histoire. Le remplacer par de la poussière d'or. Signifier dehors qu'il attendrait, tout en continuant à vivre dedans.


Et c'est ce qu'il faisait depuis, en allant tous les matins chercher son pain, tous les matins un peu plus lentement, tous les matins partant un peu plus tôt, pour pouvoir être rentré à temps.

Juste avant d'ouvrir sa porte, machinalement, il levait la tête et regardait son infini vertical, son numéro 8.

Il s'installait alors dans son fauteuil du petit hall d'entrée, et attendait.

Il attendait chaque jour le grincement métallique du petit volet de sa boite aux lettres. C'était sa musique à lui, l'équivalent du chant du chardonneret ou d'une suite pour violoncelle de Bach.

Chaque matin, la joie l'emplissait ainsi du réveil à l'arrivée du courrier. Une joie de coeur qui se vidait d'un coup face à l'absence d'un signe de sa part. Presqu'aussitôt remplacée par l'espérance, une espérance de tête, jusqu'au sommeil.


Ce n'est pas de l'attente.

Juste l'existence qui s'écoule, du sirop d'existence, de l'élixir de vie.


Photographie : Bruno B.

bottom of page