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  • Photo du rédacteurBruno

"Le fruit est aveugle, c'est l'arbre qui voit." René Char



Nous avions fait figue du mur qui nous séparait, nous et nos jardins. Nous échangions maintenant les fruits de nos récoltes et de nos réflexions, cerises sur le gâteau pour elle, tarte aux citrons pour moi.


Pourtant, au commencement, un pépin.

Juillet, un barbecue, un vent fripon, une fumée épaisse qui avait fait le mur, sa tête à lui émergeant de la brume, un zeste d'amertume dans la voix soufflant sur les braises. Il s'était libéré d'un poids sur l'estomac au moment même où je l'avais dans les talons.


Jusqu'à ce sac empli de cerises que je découvrais un jour, offert au portail. Elle avait choisi l'élégance des fruits. Au coeur, le noyau. Aux mots pressés, le jus vitaminé de l'émotion. Aux expressions acides, la chair sucrée. Que rien ne reste sur l'estomac.


Je décidais d'une répartie haute en couleurs : un sac d'agrumes ensoleillés. C'est ainsi, qu'au rythme des saisons, naquit entre nous cette valse lente des fruits par-dessus le mur du jardin, frontière devenue porte ouverte sur l'autre.


Et puis l'année dernière, c'est lui qui me tendit le panier de cerises et l'anse du sourire.


Hier, en fin d'après-midi, je m'approchais de leur portail avec un nouveau sac d'agrumes. Je trouvais que les oranges se mariaient bien avec le coucher du soleil. Elle m'ouvrit. J'ai tout de suite su que l'année n'allait pas être bonne. Cancer de l'estomac. Je lui tendis le sac, il contenait tous les mots du livre.


Au retour, je me sentais observer par les arbres.


Photographie : Bruno B.

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