Elle lui demanda d'abord de l'écouter.
Il l'approcha de son oreille et reconnut, sans pouvoir le dire, l'eau des fontaines.
Il tournait autour d'elle.
Un papillon de lumière et une fleur d'hibiscus.
Il n'avait pas encore trois ans.
Petit derviche sous le patio brûlant, pieds nus.
Tout était mouvement autour de la petite sphère qu'elle tenait dans sa main.
A 84 ans, chaque geste peut être le dernier.
Elle s'était assise pour que les regards échangés avec son arrière petit-fils soit horizontaux.
Les chants de chardonnerets dans les néfliers étaient là, silencieux.
Fraichement cueillie sous le soleil, elle pelait l'orange et lui offrait le monde.
Il la dévorait des yeux et lui rappelait les places des villages, l'éclairage aux lampions, les pas de tangos.
Chacun à sa manière célébrait l'amour, faisait don à l'autre de ce qu'il pouvait penser ne plus avoir, de ce qu'il pouvait penser ne pas avoir encore, et que tout deux avait l'un pour l'autre.
L'orange est désormais au centre de la main ouverte, offrande à l'enfant.
Il la regarde, instant suspendu, initiation au désir.
Il découvre là le point cristallisé, le bonheur en tension, l'audace du funambule.
Il ne sait s'il peut. Il ne sait comment.
Il faut parfois un certain temps avant de se décider à ouvrir un cadeau.
L'orange se déplia comme par magie dans le bruit de la séparation.
Ça serre le cœur en même temps que ça libère.
Son mouvement repris en même temps qu'il mordait dans la chair.
Près d'Alicante, il savait maintenant que le jus d'orange sort de l'arbre, se boit à la source et colle à la peau.
Mourir, elle le savait, c'était ne plus pouvoir être à fleur de peau confronté à la beauté des choses.
Elle vivait l'immortalité, la transmission d'une vérité.
* titre emprunté à Saint-Exupéry dans "Terre des hommes"
Photographie : Bruno B.
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