
Imaginez...
C'est l'histoire d'un enfant né en 1924 qui perdit la vue accidentellement à l'âge de huit ans. Elève brillant, il poursuit "normalement" ses études et passe son bac à 17 ans avec succès en 1941, continue à Louis-le-Grand et prépare l'Ecole Normale Supérieure sous occupation allemande. Donné parmi les favoris, un décret de Vichy excluant les handicapés de la Fonction Publique l'empêche de passer les épreuves écrites. En parallèle de ses études, il s'implique dans la création d'un mouvement de résistance face à l'occupation nazie qui comportera jusqu'à 600 membres, qu'il organise progressivement tout en étant chargé du recrutement, utilisant un sens intérieur développé depuis sa cécité, qui lui permet de détecter les faux-semblants chez des inconnus. Son but initial est d'informer la population : il mettra à disposition son réseau pour la distribution d'un journal, "Défense de la France" (futur "France-Soir"), qui passera en deux ans de 10.000 à 250.000 exemplaires distribués à chaque parution. Dénoncé, il est arrêté par la Gestapo en juillet 1943, déporté à Buchenwald en janvier 1944 d'où il ressortira vivant en avril 1945. Il n'a alors que vingt ans. Dans les années d'après-guerre, les aveugles restant exclus de l'enseignement public secondaire en France, il partira en 1955 en Virginie enseigner à l'Université Privée Américaine. Il mourra en 1971 à 46 ans d'un accident de la route.
Je restais déjà subjugué par la trajectoire de cet homme, Jacques Lusseyran.
C'était sans avoir lu d'un trait deux de ses livres :
- "Et la lumière fut" (1953) où il raconte son vécu, de sa naissance à sa libération du camp,
- "Le monde commence aujourd'hui" (1959) où il revient sur quelques personnages emblématiques croisés dans le camp.
Mais ces deux livres sont bien plus que ça.
Une ode à la vie, à la joie et à l'amour. A la paix et au voyage intérieur.
A l'attention permanente que nous devons porter sur le monde (pour lui, les mondes intérieur et extérieur ne font qu'un).
"C'est toujours au-dedans de nous que la connaissance a lieu."
" A chaque instant je connais du monde juste ce que je mérite d'en connaitre. La mesure de ma connaissance est celle de mon désir, de mon attention."
"La lumière est mon élément. J'en suis fait."
"Les mains ne peuvent pas s'empêcher d'aimer ce qu'elles ont touché complètement."
Comment, me direz-vous ? Avec ce parcours, cette souffrance, et autant de coups durs vécus ?
C'est justement cet apparent paradoxe qu'il dénonce en permanence où tout évènement reste une chance à saisir.
Ce sont la peur et la victimisation qui rendent aveugle.
"La seule façon d'obtenir une guérison complète de la cécité est de ne jamais la traiter comme une différence, une cause de séparation, une infirmité."
"Mais qui ne voit pas qu'il y a un chemin tout droit de la timidité à l'orgueil, de l'orgueil au refus des autres."
"Je vais cahin-caha vers le centre, comme vous. Je pars d'un autre point de la surface : voilà tout."
Si j'osais, je dirai : il faut le voir pour le croire.
Ces livres nous ouvrent à l'autre et au monde en nous initiant à voir autrement.
Ce sont des morceaux de lumière pour tous ceux qui la cherchent.
"La vie intérieure, c'est d'être convaincu que voir consiste dans l'acte de regarder, savoir dans l'acte de comprendre, et tenir dans l'acte de s'abandonner."
(spéciale dédicace à tous mes ami(e)s photographes et à toi, Jean-Paul, qui mis cet homme sur mon chemin)
* Les textes entre guillemets sont des extraits tirés des livres cités
Photographie : Bruno B.
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