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  • Photo du rédacteurBruno

Repenser nos espaces de silence, d'obscurité et de temps


Silence, obscurité et temps ne seront-ils pas bientôt les métaux rares de nos jardins publics (où sont les bancs des amoureux qui se bécotent ?), de nos jardins secrets (que deviennent nos carnets de Moleskine ?), de nos sols en jachère (le Roundup aurait-il aussi cramer notre désir de connaissances ?) ?


Le silence. Pour diminuer l'agitation et le désordre en nous, entendre la vibration brownienne de nos pensées, sonder les infra-basses de nos profondeurs.

L'obscurité. Pour discerner la lumière qui éclaire de celle qui aveugle.

Le temps. Pour écouter le mouvement du balancier (celui de la conjonction des opposés et des horloges comtoises) et l'écoulement du sable (celui qui fait les vitres des apparences et les miroirs de nos âmes).


Ils sont les ingrédients essentiels qui permettent aux émotions de sédimenter, à la pensée de s'éprouver, aux actions de s'ajuster. Et à l'être de se libérer. Ouvrir les bras aux contradictions dont nous sommes pétris et aux souffrances qui nous apprennent à vivre. Laisser infuser, laisser diffuser, penser frontière, oui d'un certain côté, mais membranes plutôt que murs.


Sans eux, l'acteur (en devenir) n'est que ré-acteur (en perdition), préd-acteur anthropophage suffocant, auto-emprisonné-empêtré, alimentant le spectre des peurs primaires et des instincts primitifs, dégoulinant d'un parfum d'ambiance mortifère, sur une échelle du risque pouvant aller du pétard mouillé à la bombe nucléaire.


Nous vendons nos terres aux plus offrants : yeux, oreilles, papilles, cerveau, énorme marché noir du trafic d'organes frais à ciel ouvert. Comment s'étonner de devenir aveugle et sourd, obèse ou anorexique, dépressif ou lobotomisé ?


Nous laissons d'autres cultiver à notre place, auto-satisfait de l'offre paysanière des étendues plastiques, accoutumé désormais  à ce nouvel horizon paysager, au vomi cathodique, au pare-brise sans insectes, au 6ème continent, à l'achat compulsif, à la capacité de connexion au rien, à l'addiction au vide, à la liposuccion de nos pensées graisseuses, aux ordonnances généreuses de psychotropes, aux injections de botox masquant le vieillissement de nos idées, aux injonctions de persuasion massive.


Déresponsabilisés, nous avons cru à la chimiothérapie de nos terres ancestrales.

Nous procrastinons devant les effets secondaires.

Aujourd'hui s'avancent masquées les pollutions sonore et visuelle. Bande-son en magasin, sonneries et notifications de portable, publicités en bord de route, au cœur des films, pop-up, enseignes lumineuses, tours éclairées, écrans permanents, vidéos.

Les pupilles jusqu'au bord de la nuit, les tympans jusqu'au bord de l'ennui.

Saturation, overdose. Penser déjà à demain, au prochain shoot, à Christiane F.


Déconstruire, décroisser, déconnecter, désaturer. Nouveau jeu de dés.


Initier. Repenser nos espaces de silence, d'obscurité et de temps.

Nos nuits de chauve-souris et de ciels étoilés.


Photographie : Bruno B.

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